Face aux industriels du cacao, la Côte d’Ivoire et le Ghana se rebiffent

«Le planteur ivoirien de cacao ne vit pas décemment de sa production. Je demande aux chocolatiers de respecter le prix fixé aux planteurs», s’agace Venance Brou Kouadio, au coeur de sa plantation de cinq hectares à Bringakro.

Comme ce quadragénaire, dans ce village à 200km au nord d’Abidjan, les planteurs sont nombreux à se plaindre de ne pas recevoir le prix promis pour un kilo de cacao, fixé cette année en Côte d’Ivoire à 900 francs CFA (1,3 euros).

Au coeur de la grogne, le différentiel de revenu décent (DRD), un mécanisme de prime instauré en 2019 visant à faire payer aux chocolatiers un bonus de 400 dollars par tonne de cacao aux planteurs.

L’objectif espéré: mieux rémunérer les agriculteurs dont on estime qu’ils perçoivent autour de 6% de la valeur générée par le marché du chocolat.

Mais selon le Conseil Café-cacao ivoirien (CCC) et le Ghana Cocoa Board (Cocobod) les organes nationaux de gestion des filières cacao des deux premiers producteurs mondiaux (60% de la production à eux deux), le compte n’y est pas.

Le Covid a été un «prétexte pour ne pas payer. Or, les multinationales ont augmenté leurs profits, elles sont capables de payer», assure Yves Brahima Koné, le président du CCC. Sans le DRD, explique-t-il, difficile pour le planteur d’obtenir sa marge, une centaine de francs CFA par kilo.

Une prime visant à améliorer le revenu des planteurs, mais des compagnies «contournent ce processus», déplore Fiifi Boafo, porte-parole du Cocobod.

Menaces sur le cacao durable

Selon certains experts, si le DRD a bien été intégré aux coûts par les chocolatiers, ces derniers compensent en faisant pression sur la prime censée rémunérer la qualité des fèves.

Après avoir boycotté une réunion à Bruxelles fin octobre, la Cote d’Ivoire et le Ghana ont montré les muscles.

Si les multinationales ne respectent pas leurs engagements d’ici le 20 novembre, les deux pays menacent «d’interdire l’accès aux plantations pour effectuer des prévisions des récoltes» et de «suspendre les programmes de durabilité».

Ces programmes visant notamment à lutter contre la déforestation et le travail des enfants, permettent aux industriels de faire valoir que leur chocolat est issu d’une production durable, critère privilégié par le consommateur.

«Cet ultimatum permet d’attirer l’attention sur le fait qu’aussi importantes soient les questions de déforestation ou de travail des enfants, celle du revenu des planteurs l’est tout autant», affirme Fiifi Boafo.

«Si le cacao est bien payé, on peut envoyer nos enfants à l’école (…) et moderniser notre village avec la construction d’hôpitaux», plaide Apolline Yao Ahou, agricultrice dans la plantation de Bringakro.

Future réglementation

Mais les chocolatiers pourraient être tentés de jouer la montre.

«La Côte d’Ivoire a une économie fortement dépendante des revenus du cacao (…) Elle a besoin de vendre ses fèves», note un expert du secteur. «Arrêter les programmes de durabilité, c’est difficile à expliquer au grand public. L’image de la Côte d’Ivoire risquerait d’en pâtir».

Plusieurs multinationales, comme Barry Callebaut, Olam, Cargill, Ecom, Sucgen, Nestlé ou Touton dominent le marché ivoirien et achètent la quasi-totalité de la production de cacao du pays dont plus de 80% est acheminée vers l’Europe.

La World cocoa foundation qui regroupe les entreprises du chocolat et du cacao n’a pas souhaité commenter. Mais certains industriels, comme Nestlé, assurent faire leur part.

«Nous pensons que les producteurs de cacao devraient gagner un revenu qui leur permette de maintenir un niveau de vie décent (…) Nestlé paye le DRD depuis sa création en Côte d’Ivoire et au Ghana», explique un porte-parole du groupe.

D’ici 2024, une réglementation européenne devrait empêcher l’entrée dans l’UE de tout cacao issu de la déforestation.

Une opportunité à saisir pour les producteurs.

«Pour que le prix change il faut que le produit change. Si un travail est fait contre la déforestation, le travail des enfants et pour gérer les quantités mises sur le marché, les pays pourront dire que leur cacao ne peut pas avoir le même prix qu’un cacao conventionnel», estime Francesca di Mauro, ambassadrice de l’UE en Côte d’Ivoire.

«Je dis aux grands groupes que le cacao que nous cultivons respecte les normes. En retour, nous vous demandons de bien nous rémunérer», plaide déjà Venance Brou Kouadio, dans sa plantation de Bringakro.

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