Officiels, chefs traditionnels, militants des droits humains et membres d’ONG sillonnent depuis plusieurs mois l’immense région de Tillabéri dans l’ouest du Niger. Leur mission : organiser des forums pour apaiser les tensions communautaires ravivées par des massacres de civils commis par les djihadistes.
Longtemps, la cohabitation entre les différentes ethnies dans cette région des « trois frontières »(Niger, Burkina Faso et Mali), a été plutôt pacifique.
Les différends fonciers et d’accès à l’eau entre sédentaires djermas ou haoussas et éleveurs peulset touaregs se réglaient par consensus autour des chefs traditionnels ou religieux.
Mais depuis 2015, un climat permanent de méfiance et de vendetta est apparu avec les atrocités et les razzias de bétail commis par des groupes djihadistes notamment liés à l’Etat islamique (EI), soupçonnés d’appartenir essentiellement à la communauté peul.
« Depuis un certain temps, nous sommes confrontés à une autre forme d’insécurité qui est le conflit intercommunautaire », a reconnu la semaine passée à la télévision publique Moussa Sadou Kalilou, porte-parole des chefs traditionnels de Tillabéri à l’issue de discussions avec le président nigérien Mohamed Bazoum.
Les chefs ont « rendu compte » au président des « efforts de sensibilisation » en vue d’éliminer « la stigmatisation » ethnique qui alimente ces tensions, a-t-il résumé. Car le mois de mai a été particulièrement sanglant dans la région.
Au début du mois, de « violents affrontements » ont opposé Djermas et Peuls dans des villages et îles sur le fleuve Niger (sud-ouest), faisant une dizaine de tués et plus de 18 000 déplacés.
Le 27 mai, neuf personnes, dont des femmes et des enfants, ont été tuées à la suite de soupçons de vols de bétail à Anzourou, une commune souvent ciblée par des attaques, selon les résidents. A la même date, quatre villageois ont été assassinés dans leur sommeil dans la localité voisine de Sakoira.
A la mi-mai, l’ONU jugeait encore « très volatile et imprévisible » la situation sécuritaire marquée par « des mouvements progressifs de population » fuyant « des attaques répétées » et « des représailles intercommunautaires », le long des frontières avec le Mali et le Burkina Faso.
Interrogé par l’AFP, Boubacar Diallo, le président de l’Association des éleveurs du Nord-Tillabéri estime que « les conflits intercommunautaires se sont envenimés parce que la stigmatisation (des peuls, ndlr) a gagné du terrain ».
Il regrette les amalgames entre les « terroristes » et toute une « communauté ».
« Nous allons sillonner villes et villages pour expliquer aux gens le bien-fondé de la coexistence pacifique. Il n’est pas question de se faire justice », a prévenu Hamadou Adamou Souley, ministre nigérien de l’Intérieur début juin devant les habitants d’Anzourou.
Et pour résoudre ces conflits pacifiquement, des « forums » ont déjà donné des résultats.
Dans les parties nord et est de la région de Tillabéri, des « accords de paix communautaires », sorte de pacte de non-agression, ont été signés entre les protagonistes, sous l’égide du Centre pour le dialogue humanitaire (HD, basé en Suisse).
Les accords ont notamment été signés à Banibangou(21 janvier) et à Tondikiwindi (4 juin), deux communes théâtres de massacres par l’Etat islamique de centaines de villageois dont des femmes et des mineurs travaillant dans un champ, en 2021.
Avant ces accords, des villageois avaient créé des milices d’autodéfense, donnant lieu à des affrontements sanglants avec des djihadistes et à des représailles contre des éleveurs.
Près de cinq mois plus tard, « aucune goutte de sang n’a été versée, aucun incident n’a été signalé sur les axes routiers » où les attaques étaient fréquentes, se félicite Alhassane Adoum, le maire de Banibangou.
Des agriculteurs « qui n’avaient pas cultivé leurs champs depuis trois ans ont commencé à semer »depuis quelques jours, assure-t-il à l’AFP.
« Même les éleveurs ayant fui par crainte de représailles sont de retour avec leur bétail », constate un journaliste local Adamou Moussa.
Par cette « approche sécuritaire humaine », le Niger « coupe l’herbe sous les pieds des mouvements (djihadistes) en instaurant un dialogue ouvert impliquant les leaders communautaires », a commenté à la télévision nigérienne, Bakary Sambe le directeur du Timbuktu Institute.