Après avoir quitté la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso et entamé des négociations pour réduire sa voilure et/ou quitter le Niger, la France à travers sa présence militaire en Afrique essuie un sérieux revers. Et si aucune des bases permanentes historiques de la France en Afrique n’est concernée par ces départs, la situation peut rapidement évoluer dans certains pays dans le sillage du sentiment anti-français grandissant dans la région. Décryptage.
Est-ce le début de la fin de la présence française en Afrique? la question taraude l’esprit de l’establishment français, mais aussi certains de ses alliés africains. Une chose est claire, la tendance lourde qui se dégage depuis quelques années laisse croire que la présence militaire française en Afrique, avec des bases militaires, vit ses dernières années.
Au début de cette décennie, la France conservait une présence militaire dans une dizaine de pays africains: Sénégal, Côte d’Ivoire, Tchad, Djibouti, Gabon, Mali, Burkina Faso, Centrafrique et Niger. Dans certains pays, l’Hexagone dispose de bases permanentes (Côte d’Ivoire, Sénégal, Djibouti et Gabon).
Globalement, la présence militaire française en Afrique vise plusieurs objectifs dont des missions de défense, de lutte contre le terrorisme djihadiste, de coopération régionale, de protection des intérêts français… A titre d’exemple, la base de Djibouti contribue à assurer une présence française dans la région indopacifique, à la lutte contre la piraterie maritime en mer Rouge et constitue un lieu d’entrainement des forces spéciales.
En réalité, les bases militaires françaises servent globalement à préserver les intérêts de l’Hexagone qui demeure la seule puissance coloniale à conserver de telles relations avec ces anciennes colonies. Ces bases ont pour seul but de protéger les Français vivant en Afrique et les intérêts de l’Hexagone, et ce par tous les moyens, y compris en usant de sa force présente sur place. Ainsi, elle n’a pas hésité à intervenir en Côte d’Ivoire lors de la crise post-électorale en 2011.
Seulement, à cause de nombreuses décisions prises par la France ces dernières décennies-dévaluation du Franc CFA, intervention militaire en Côte d’Ivoire et en Libye ayant entrainé la chute de Kadhafi (leader apprécié en Afrique), interdiction aux forces armées maliennes d’intervenir dans le nord de leur pays après les avoir aidés à repousser les djihadistes dans le cadre d’une entente avec les rebelles touaregs…-, de l’arrogance et du mépris de certains de ses dirigeants vis-à-vis des Africains et l’évolution de la géopolitique mondiale où Paris pèse de moins en moins en Afrique du fait du poids grandissant de certains pays (Chine, Turquie, Russie…), les relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique sont passées d’une entente cordiale à l’incompréhension et finalement à un désamour qui se reflète dans le slogan «France dégage», martelé dans de nombreux pays francophone d’Afrique, y compris dans ceux considéré parmi ses plus fidèles alliés comme le Sénégal.
Et dans cadre, l’une des cibles privilégiées des populations africaines, notamment des militants «panafricains», est la présence militaire française en Afrique que certains assimilent à des présences visant à protéger les intérêts français y compris de certains dirigeants jugés inféodés à la France.
Du coup, dans tous les pays africains où il y a eu des changements politiques via des coups d’Etat, le départ des troupes françaises devient un leitmotiv. Ce fut le cas au Mali, au Burkina Faso et maintenant c’est au tour du Niger où, après avoir refusé l’injonction de la junte nigérienne qui avait donné un ultimatum pour le départ des forces françaises reprochant à celle-ci de ne pas être légitime, Paris négocie désormais avec les militaires au pouvoir à Niamey les modalités d’un retrait, en partie ou en totalité, de ses soldats.
Un énième camouflet pour l’ancienne puissance coloniale dont les soldats ne sont plus en odeur de sainteté dans des pays qui étaient jusqu’à une période récente considérés comme faisant partie du pré-carrée français en Afrique, à l’instar de la Centrafrique.
Dans ces domaines réservés, le Niger et son uranium qui fait fonctionner une partie des centrales nucléaires français qui fournissent plus de 70% de l’électricité produite en France, occupait jusqu’à présent une place centrale. Le nombre de présidents nigériens renversés pour avoir osé émettre des avis sur l’uranium du pays ne se compte pas.
Seulement, la situation a évolué au cours de ces dernières années suite aux coups d’Etat militaires menés par de jeunes officiers des armées ouest-africaines. Plus proches du terrain et de la jeunesse africaine, contrairement aux présidents adeptes du maintien des liens de la françafrique, les jeunes dirigeants militaires aspirent à une rupture avec les accords militaires liant leurs pays à la France.
En Centrafrique, le 15 décembre 2022, les derniers militaires français sous commandement national, au titre de la mission logistique (Mislog), ont quitté le pays. Ancienne puissance coloniale, la France avait déployé en 2013 plus d’un millier de soldats dans le pays dans le cadre de l’opération Sangaris et Paris a compté jusqu’à 1.600 hommes dans le pays.
Toutefois, face à l’arrivée des paramilitaires russes de Wagner, Paris a fini par rompre sa coopération militaire avec Bangui en août 2021. Et l’implication du groupe Wagner a fini par pousser la France à retirer ses derniers soldats, fin 2022, sur fond de dégradation des relations entre la France et la Centrafrique.
Une année auparavant, les soldats français de la forces Barkhane avaient remis les clés de leur base de Tombouctou aux forces maliennes, mettant fin à neuf années de présence, après l’intervention en 2012 suite à une demande des autorités maliennes pour faire face à l’avancée des djihadistes qui menaçaient de prendre la capitale Bamako.
Ce fut ensuite au tour du Burkina Faso de mettre fin à l’accord sur la présence des éléments des forces spéciales françaises sur son territoire.
Plus récemment, après le coup d’Etat qui a permis le renversement du président Mohamed Bazoum, la junte a donné un ultimatum à la France afin qu’elle retire ses soldats. Paris avait opposé un niet arguant que le régime militaire est illégitime et ne peut en conséquence dénoncer des accords passés avec l’ancien président démocratiquement élu.
Mais face à la persistance de la demande de départ des forces françaises et les manifestations populaires contre cette présence, la France semble avoir compris que la seule alternative qui lui reste est de trouver un terrain d’entente avec les militaires au pouvoir. Il faut souligner que le Niger abrite, avec Djibouti, la plus importante présence militaire française en Afrique avec 1.500 soldats officiellement présents sur son territoire.
C’est ce qu’a confirmé le Premier ministre de la junte en soulignant que des «des échanges» étaient en cours pour que les forces françaises se retirent rapidement. Toutefois, Paris négocie afin d’y maintenir quelques soldats, le Niger étant stratégique du fait de l’uranium exploité par l’entreprise française Orano et de la présence d’expatriés français.
La présence militaire française n’est plus souhaitée en Afrique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation.
D’abord, au niveau des pays du Sahel, malgré sa forte présence et sa force de frappe -militaires bien entrainés, blindés, avions de chasse et drones-, le terrorismes djihadistes n’a cessé de prospérer, gagnant chaque jour du terrain. Une situation qui pousse certains à soupçonner une certaine connivence entre l’armée française et les djihadistes. A titre d’exemple, au Mali, les soldats français ont compté jusqu’à 5.000 militaires sur le terrain, sans arriver à contrer l’influence des djihadistes, se contentant souvent à des éliminations ciblées de quelques dirigeants djihadiste. Conséquence, partout la présence militaire française est jugée comme un échec.
Ensuite, il y a surtout l’arrogance de l’élite française de ces dernières années qui n’a cessé d’irriter les Africains, aussi bien les jeunes que les moins jeunes, y compris même des dirigeants considérés jusqu’à une période récente proches de l’Hexagone. Si cela a vraiment commencé avec le discours de l’ancien président Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2007 à Dakar dans lequel il a soutenu que «le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire», c’est surtout sous la présidence d’Emmanuel Macron que cette arrogance s’est vraiment manifestée.
En cause, le problème d’égo du président français vis-à-vis des Africains et de ses dirigeants qui a exacerbé les Africains dans leur ensemble. Après voir voulu ignorer l’Afrique au début de son mandat, il a rapidement compris qu’il laissait la porte ouverte à d’autres partenaires (Chine, Turquie, Russie, Emirats arabes unis…) qui n’ont pas tardé à s’engouffrer davantage en Afrique, y compris dans ce qui était jusqu’alors considéré comme le pré-carré français en Afrique. Et lorsqu’il a compris son erreur et voulu corriger le tir en multipliant les visites sur le continent, souvent il l’a fait de manière maladroite en multipliant les polémiques.
Ses sorties au Niger sur la démographie en Afrique, au Burkina en faisant fâcher le président Kaboré et sa remise en place par le président Felix Tshisekedi de la RDC sont autant d’exemples de son manque de maturité politique, de son arrogance et de son paternalisme qui ont coûté cher à la France en Afrique. Une situation qui n’a fait qu’alimenter le ressentiment anti-français en Afrique, particulièrement au niveau de la jeunesse du continent. Et on comprend alors pourquoi partout les jeunes demandent le départ des militaires français.
Il faut dire que même en France cette présence est de plus en plus décriée. Ainsi, l’ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, a souligné que «la présence militaire ne peut pas se faire sur ce mode traditionnel, c’est-à-dire le mode des interventions, le mode des bases, tout ceci est dépassé», ajoutant que «pour les Africains, l’emblème même de la Françafrique, c’est la présence militaire» qui a fortement contribué «à un rejet de la France». Et si la France est autant décriée en Afrique, selon Dominique de Villepin, c’est qu’«il y a une très profonde méconnaissance aujourd’hui des nouvelles réalités africaines. Ce sont des pays où la jeunesse est très importante. Cette jeunesse s’informe sur les réseaux sociaux et nous n’avons pas forcément les moyens d’accéder à elle. Nous, nous fonctionnons très à l’ancienne».
Et même les hauts gradés français reconnaissent la nécessité de repenser cette présence militaire. «Nous avons certes fait monter en puissance l’armée malienne, mais nous avons parfois agi à sa place», avait reconnu l’ancien commandant de Barkhane, le général Laurent Michon. Plus explicite, le colonel Hubert Beaudoin, sous-chef opérations de Barkhane, avait expliqué que la France doit «changer de paradigme, avec une présence partenariale plus discrète. Aujourd’hui, se déployer avec une armada n’est plus dans l’air du temps».
Par ailleurs, les départs des soldats français s’expliquent aussi par le contexte géopolitique. En effet, considérant que la présence française a été globalement un échec, les pays de la région se sont rapprochés de la Russie via notamment les paramilitaire russes du groupe Wagner. Et afin d’affirmer son soutien, la Russie équipe ses nouveaux partenaires militaires en avions, hélicoptères de combat et d’autres armes pour faire face aux djihadistes. Ce qui était loin d’être le cas avec la France même si ces fournitures d’armes russes ne sont pas gratuites.
C’est conscient de ce désamour que le président français, Emmanuel Macron, qui n’est pas étranger à l’accentuation du désamour des Africains à l’égard de la France, a annoncé la nécessité d’une transformation de l’offre militaire française en Afrique, vers un dispositif plus discret, qui impliquera la révision de l’ensemble des dispositifs français en Afrique.
Ce changement de cap suffira-t-il à mettre fin à la fermeture des bases militaires françaises en Afrique? Il faut souligner qu’en dépit des départs effectifs et annoncés des soldats français de plusieurs pays du continent, la France compte encore y rester bien longtemps où ses bases militaires historiques et permanentes ne devraient pas subir le même sort que celles des pays sahéliens, en tout cas pas dans l’immédiat, sauf en cas de changements de régime marqué par l’arrivée au pouvoir de dirigeants proches des «panafricanistes».
Il faut souligner qu’en dehors du Niger où sa présence militaire s’inscrit désormais en pointillés, l’Hexagone conserve des bases permanentes au niveau du continent: Djibouti (1.500 soldats), Tchad (1.000 soldats), Côte d’Ivoire (900 soldats), Sénégal (400 soldats) et Gabon (350 soldats). C’est dire que même avec les départs actés et annoncés, Paris conservera encore 4.150 soldats dans ses bases en Afrique, couvrant aussi bien l’Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est. C’est-à-dire ses zones d’influences stratégiques.
Il s’agit de bases militaires qui ne semblent pas, pour le moment, être concernées par les appels au départ. Seulement, sur ce point, les positions changent rapidement au niveau du continent. Il suffit d’un changement de régime dans un de ces pays pour que tout soit chamboulé. Rien n’est plus définitivement acquis pour la France.
Bref, la France, qui perd aussi largement son influence économique au profit de la Chine, mais aussi de Turquie, de la Russie, et même de quelques pays africains, comme c’est le cas au niveau de certains secteurs d’activité dont les banques, comme en atteste le départ des grandes banques françaises du continent, doit revoir son partenariat avec l’Afrique de fond en comble au risque de tout perdre, y compris le lien culturel qu’est langue française. De plus en plus de pays francophone se mettent désormais à l’anglais alors que d’autres intègrent le Commonwealth.
Moussa Diop