Le 7 octobre courant, soit le jour du Kippour, environ 1.000 combattants ultra-entraînés du Hamas ont lancé une attaque surprise sans précédent au cœur même du territoire israélien. Lancée principalement par voie aérienne et terrestre, l’opération a semblé avoir pris au dépourvu autant les renseignements que l’armée d’Israël. Le dispositif ultra-technologique mis en place autour de la bande de Gaza s’est avéré par conséquent totalement inefficace.
Pourtant, selon certaines sources, les autorités israéliennes auraient été prévenues par leurs homologues égyptiennes, 10 jours auparavant, de l’imminence d’une grande opération à partir de la bande de Gaza. Une mise en garde qui aurait été totalement ignorée par Israël, peut-être à dessein. Car une autre hypothèse, aux antipodes de celle d’une attaque surprise, avance l’idée qu’Israël était non seulement au courant des grandes lignes, voire des détails de l’opération «Déluge d’Al Aqsa», mais qu’elle aurait sciemment laissé faire pour avoir un casus belli qui lui permettrait d’atteindre deux objectifs hautement stratégiques que l’on abordera un peu plus loin dans cette chronique.
À cet effet, un grand narratif semble s’être mis en place du côté israélien qui n’est pas sans nous rappeler le narratif américain du 11 septembre 2001, la petite fiole de Colin Powell en moins. Le président israélien Isaac Hertzog a parlé du plus grand nombre de Juifs morts en un jour depuis l’Holocauste. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a parlé de plusieurs dizaines de bébés décapités et égorgés, même si l’info a été largement démentie depuis. Enfin, une certaine presse américaine semble déjà avoir désigné l’ennemi idoine: l’Iran.
Revenons maintenant aux objectifs stratégiques qui pourraient être visés par le pouvoir israélien. Le premier serait de régler définitivement l’épineuse question de la bande de Gaza, grâce à une opération militaire de grande envergure, qui s’achèverait à terme par une annexion ou une occupation totale de l’enclave, avec un désarmement effectif de toute la population locale. À cet effet, des centaines de milliers de réservistes ont été mobilisés en vue, peut-être, d’une grande opération terrestre dans l’enclave.
Le scénario extrême serait une déportation pure et simple d’une grande partie de la population de Gaza vers l’Égypte et la Cisjordanie, en vue de rendre le territoire plus contrôlable. Pour ce faire, tout est fait actuellement pour rendre l’enclave factuellement invivable. Car en plus des 6.000 bombes lancées sur Gaza, selon les données de l’armée israélienne, l’eau, l’électricité et l’acheminement de la nourriture ont été complètement bloqués, ce qui est contraire au droit international, comme l’a rappelé l’ONU.
Mais à ce stade du conflit, les rappels au respect du droit international acquièrent un caractère ornemental, puisque de part et d’autre, le droit de la guerre a été totalement violé. D’un côté, le Hamas n’a pas hésité à exécuter des centaines de civils non armés dans les colonies israéliennes. De l’autre, Israël a procédé à un déluge de bombes sur Gaza, provoquant plusieurs centaines de morts parmi les civils palestiniens. «Œil pour œil, dent pour dent» est en réalité le seul droit international dans la région depuis des décennies, avec cependant une asymétrie évidente au niveau militaire et technologique en faveur d’Israël.
Le deuxième objectif serait d’entraîner les États-Unis dans une guerre frontale contre l’Iran, au risque de totalement déstabiliser la région du Moyen-Orient, et par extension le monde entier. Une perspective qui semble être pleinement assumée par Netanyahou, qui menace ou promet de «changer la donne au Moyen-Orient».
Car oui, Israël ne peut pas se lancer seul dans une opération d’une telle envergure pour différentes raisons. Puisque pour lancer une attaque aérienne de grande envergure, qu’il s’agisse de missiles de croisière ou de chasseurs bombardiers, il lui faut traverser des espaces aériens hostiles, ceux de la Syrie et de l’Irak, ou de la Jordanie et de l’Irak. L’autre option, celle de lancer une attaque aérienne à partir de la Géorgie du Caucase, a été définitivement neutralisée, suite à l’intervention militaire russe en 2008. A l’époque, les militaires russes avaient annoncé avoir mis la main sur du matériel militaire israélien, principalement des drones d’attaque, ce qui laissait présager qu’Israël chercherait peut-être à installer une base aérienne d’attaque dans ce petit pays pour contourner la problématique des espaces aériens hostiles.
L’autre défi auquel Tel-Aviv risque d’être confrontée est celui de la riposte militaire de l’Iran, qui possède une puissance balistique redoutable, et dont les missiles de moyenne portée se comptent en dizaines de milliers, sans parler de la possibilité de fermer le détroit d’Ormuz, provoquant ainsi une crise énergétique, économique et financière à l’échelle planétaire.
Seule une opération militaire hautement préparée, avec l’appui de toute la puissance de feu américaine et de l’OTAN, serait à même de détruire une grande partie du potentiel militaire iranien. Mais cela n’empêchera en rien la riposte iranienne évoquée précédemment, ainsi qu’un effet domino qui risquerait d’embraser toute la région, voire au-delà. Autre bémol, l’OTAN pourrait être incapable de se lancer dans une telle opération, vu que les livraisons d’armes, et surtout de munitions à l’Ukraine, ont mis à sec ses réserves de munitions.
Ainsi, que veut Israël réellement? Peut-être tout simplement évacuer les contradictions internes dans un contexte de perte de légitimité de Netanyahou suite à différents scandales, à travers la création d’un front uni contre l’ennemi. Peut-être aussi annexer une fois pour toutes la bande de Gaza, limitant ainsi les négociations sur l’hypothétique création d’un État palestinien à la seule Cisjordanie.
Pour ma part, et loin de tout sentimentalisme, je fais la distinction entre deux combats dans la région. D’un côté, celui qui oppose le Hamas au pouvoir israélien, dont la finalité est idéologique et politique et qui n’hésite pas à prendre en otage autant la population israélienne que la population palestinienne, qui comptent peu dans cette équation.
De l’autre, celui qui vise à permettre aux Palestiniens d’avoir enfin un État libre et souverain, leur permettant de mener une vie digne et pacifique. Mais je ne vous cache pas que cette perspective est malheureusement irréaliste à l’heure actuelle, en raison de la mainmise de l’extrême droite et des ultra-orthodoxes sur le pouvoir en Israël, mais aussi en raison des appuis diplomatiques et politiques dont profite Israël en Occident et qui neutralisent par le «véto» et par d’autres procédés le fondement même du droit international.
En attendant, nous assisterons de plus en plus à un affrontement sanguinaire entre un Hamas avec une kippa (les ultra-radicaux israéliens), et un Hamas avec un keffieh, pour qui les civils palestiniens sont davantage un moyen qu’une population civile qu’il faut épargner.