C’est un secret de polichinelle. En Côte d’Ivoire et au Ghana, la culture du cacao rime avec déforestation. Dans ces deux pays, qui représentent environ deux tiers de la production mondiale de fèves de cacao, 386.000 hectares de forêts situées dans des aires protégées ont été perdus, entre 2000 et 2020. Cette révélation émane du rapport «Cocoa plantations are associated with deforestation in Côte d’Ivoire and Ghana», publié le 22 mai dans la revue Nature Food. Une enquête réalisée par dix chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, qui se sont basés sur des images fournies par des satellites pour capter les données sur les plantations de cacao situées dans ces deux pays.
La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cet «or brun» depuis 1978, ingrédient indispensable à la fabrication du chocolat, avec 2,4 millions de tonnes produites en 2022, est la plus touchée par ce phénomène. Ses plantations sont responsables de 37,4% de la déforestation totale enregistrée dans les 242 aires protégées qui totalisent 962.000 hectares. D’autres estimations révèlent que la superficie forestière est passée de 16 millions d’hectares en 1960 à 3 millions actuellement.
Au Ghana, 26.000‘hectares sont touchés, soit 13,5% de la déforestation totale estimée à 193.000 hectares. Pis, selon le rapport, les plantations de cacao occupent jusqu’à plus de 75% de la superficie totale dans certaines aires protégées, notamment dans la forêt de Niegré en Côte d’Ivoire (81%) et à Tano-Ehuro Forest Reserve au Ghana avec 77%. A en croire ces chercheurs, la situation est d’autant plus inquiétante, si l’on sait que ces deux pays sont traversés par la forêt guinéenne, considérée point chaud de la biodiversité mondiale par l’ONG Conservation International.
Cette alerte s’ajoute à d’autres qui ont été déjà lancées par de nombreuses ONG internationales, dont Mighty Earth. Dans son rapport «Behind the Wrapper : Greenwashing in the Chocolate Industry » publié en décembre 2018, l’organisme américain y révélait que la culture du cacao avait détruit près de 14.000 hectares de forêts au Ghana et en Côte d’Ivoire en 2018, soit l’équivalent de 15 000 terrains de football. Une superficie qui a atteint 47.000 hectares en 2020.
Toutes ces recherches indiquent que les faibles rendements des agriculteurs, dus à l’épuisement des sols et au vieillissement des arbres, et leurs maigres revenus, sont la principale cause de cette déforestation. Une situation qui pousse ces exploitants à grignoter quelques superficies dans les aires protégées pour accroitre leur production, des zones fertiles où le cacaotier pousse plus rapidement, et où les fèves récoltées sont de meilleure qualité. Ce qui leur permettrait d’améliorer leurs revenus.
L’ampleur de ce phénomène n’est pas inconnue des autorités étatiques des deux pays. Leurs partenaires aussi, particulièrement l’Union européenne, qui représente 67% des exportations de cacao de la Côte d’Ivoire. Des pays qui privilégient désormais le cacao durable. En atteste la nouvelle loi qui n’autorise l’accès sur le marché européen qu’aux produits dont la chaîne d’approvisionnement respecte des critères tels que la lutte contre la déforestation, l’amélioration des revenus des producteurs et la lutte contre le travail des enfants dans les plantations.
Production de cacao durable
Abidjan et Accra ont jusqu’en 2024 pour appliquer ces nouvelles normes dans la culture cacaoyère. C’est dans ce sens que s’inscrit «L’initiative cacao durable» lancée en 2021 par le gouvernement ivoirien en partenariat avec l’UE, et piloté par le Conseil café cacao (CCC), organe étatique qui gère la filière. L’institution a également lancé en 2022 une vaste campagne de distribution de 60 millions de plants.
Parallèlement, le CCC a lancé, l’année dernière, un programme de traçabilité du cacao, des plantations jusqu’au ports d’exportation. Il indique avoir recensé pas moins de 993 000 agriculteurs qui cultivent plus de 3,2 millions d’ha de cacao et de café.
Pour améliorer les revenus des agriculteurs, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont également mis en place, depuis 2021, un « différentiel de revenu décent » (DRD), une prime de 400 dollars par tonne (ajouté au prix du marché) destinée à mieux rémunérer les planteurs. D’après le CCC, cette initiative porte ses fruits puisque le prix d’achat du cacao aux planteurs ivoiriens était fixé à 1,30 euro le kilo durant la campagne de 2022, soit une hausse d’environ 10%.
Rappelons que la filière cacao représente entre 10 et 15% du PIB de la Côte d’Ivoire, et près de 40% des recettes d’exportations. Elle polarise entre cinq et six millions de personnes, soit 20% de la population.
Selon certains écologistes, la totalité des forêts ivoiriennes pourraient disparaitre d’ici 2034 si la déforestation persiste. Le gouvernement devra donc accélérer la cadence pour dissuader ces nombreux agriculteurs et préserver son couvert forestier.
Par Elimane Sembène