Après trois tentatives infructueuses de trois présidents démocratiquement élus, de réviser la loi fondamentale, le chef de la junte militaire qui dirige la troisième transition au Mali entend la réécrire carrément pour, dit-il, doter le Mali d’une Constitution afin de pallier les nombreux dysfonctionnements institutionnels ayant conduit à des ruptures de l’ordre constitutionnel. Pour ce faire une commission d’experts, dirigée par Fousseyni Samaké, a été mise en place pour proposer en deux mois un draft de la nouvelle constitution qui sera par la suite soumis au vote du peuple, à travers un referendum. Assimi Goïta réussira-t-il à écrire une nouvelle constitution, là où les trois anciens présidents ont échoué de la réviser ? Se butera-t-il à la farouche opposition du Mouvement démocratique ? Quelles peuvent être les faiblesses de la nouvelle démarche ?
Si une transition politique est par excellence une période de rassemblement et de large consensus afin d’aboutir à des réformes censées redonner vie aux institutions et de surcroit à la démocratie et à la République, celle d’Assimi Goïta souffre d’un déficit de concertations et d’implications de toutes les couches sociopolitiques, donc de consensus. Et pourtant les autorités de cette transition semblent être ambitieuses car elle envisage des réformes que nulle autre transition au Mali n’en a essayé, à savoir mettre à la poubelle la constitution qui a été écrite avec le sang des martyrs de 1991 pour une nouvelle qui est très loin de faire l’unanimité. En effet, si personne ne remet en cause la nécessité de réviser l’ancienne constitution pour l’adapter aux nouvelles réalités de la société malienne en pleine mutation, nombreux sont ceux qui émettent des réserves à la rédaction d’une nouvelle constitution et pour cause. Pour beaucoup d’observateurs de la scène politique malienne l’une des entraves au nouveau projet serait le manque de consensus et surtout la méthode cavalière par laquelle le Président de la transition est passée pour choisir les experts dont nul ne conteste d’ailleurs l’expertise et la qualité intellectuelle. A la question de savoir est ce que Assimi Goïta réussira là où Alpha, ATT et IBK ont échoué, la réponse est probablement négative, car les prémices d’une nouvelle levée des boucliers sont perceptibles. Un autre ANTE A BANA serait déjà en gestation. Et pourtant le Président avait les coudées franches pour rassembler les maliens autour du Mali. Assimi Goïta ne semble pas tiré les leçons des différents échecs
En effet, la première tentative de réviser la Constitution du Mali était celle du Président Alpha Oumar Konaré, AOK. Ainsi pour faire aboutir son projet, AOK a d’abord convoqué des concertations régionales, ensuite le Forum politique national dont les recommandations ont fait l’objet, à travers le Secrétariat général du gouvernement, d’un projet de loi de révision constitutionnelle qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 21 juillet 2000. Alpha Oumar Konaré a été obligé d’abandonner son projet pour couper court à la rumeur qui lui a prêté l’ambition de briguer un troisième mandat. En passant le pouvoir à son successeur Amadou Toumani Touré, ATT, AOK lui aurait suggéré de réviser la Constitution pour remédier aux différents dysfonctionnements.
Après la tentative infructueuse d’AOK, son successeur ATT a tenté de réviser la constitution du 25 février 1992. Il a d’abord procédé à la nomination de l’ancien ministre Daba DIAWARA, par le Décret N°08-072 /P-RM du 07 février 2008, portant nomination d’une personnalité chargée de conduire la réflexion pour la consolidation de la démocratie au Mali. Ainsi pour préciser ses attentes, le Président ATT a adressé au Ministre DIAWARA la Lettre de mission N°00000030/PRM du 20 février 2008. Après avoir déposé son rapport en août de la même année, le Comité a été transformé en Cellule d’Appui aux Réformes Institutionnelles (CARI) chargé de travailler sur les réformes institutionnelles. Ensuite, le Daba DIAWARA a été nommé Ministre en charge des Réformes de l’Etat. Et du coup il a dirigé la révision constitutionnelle initiée par le président de la République et adoptée par l’Assemblée nationale le 2 août 2011. Le référendum n’a pas eu lieu, car les hostilités étaient très fortes et les mêmes causes semblent produire les mêmes effets, il a été prêté à ATT une velléité de pouvoir briguer un troisième mandat. Cette deuxième tentative a été également un échec.
En 2016 le Président de la République IBK a, à son tour tenté de réviser la Constitution. En effet, c’est à la fin du mois d’avril 2016 que le Président IBK, par le Décret N° 0235/PM-RM du 20 avril 2016 portant création d’un Comité d’Experts pour la révision de la Constitution, a donné forme à son projet de révision de la constitution. Quelques semaines plus tard les membres dudit Comité ont été nommés. Ils étaient au nombre de 13 dont un président et deux rapporteurs. Cette troisième tentative va également échouer et d’ailleurs c’est à partir de cette tentative que les ennuis politiques du Président IBK ont commencé avec la création de ANTE A BANA ou le mouvement de contestation contre la révision constitutionnelle. IBK a été obligé de retirer son projet pour sauver son régime. Qui finira d’ailleurs par chuter à cause de la crise sociopolitique voire sécuritaire.
Le Président de la transition aurait dû tirer toutes les leçons des différents échecs avant d’envisager une quelconque rédaction d’une nouvelle constitution qui se heurtera à la farouche opposition de certains maliens. A la question de savoir quelles sont les faiblesses de la nouvelle démarche, il faudrait répondre par le manque de concertations en amont, l’exclusion de la classe politique, le manque de consensus et le contexte marqué par une crise de confiance entre les autorités et une frange importante des acteurs. Peut-on affirmer que ce projet aussi est mort-né ? La réponse est dans quelques mois avec le référendum prévu en 2023.
Youssouf Sissoko