Université Cheikh Anta Diop de Dakar : des milliers de parcours étudiants partis en fumée

Il ne reste que quelques bouts de l’extrait de naissance de Lamine D., né en 1966 et ancien étudiant de la Faculté des lettres et des sciences humaines (FLSH) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).

Le reste du document, et tous les autres qui attestent de son passage à l’université, ont été emportés par l’incendie volontaire qui a dévasté le bâtiment des archives de la faculté la semaine passée. L’université a été l’un des principaux foyers des troubles qui ont secoué le pays après la condamnation à deux ans de prison de l’opposant Ousmane Sonko dans une affaire de mœurs le 1er juin. Cette peine pourrait l’éliminer de la présidentielle de 2024. Il y a eu au moins 16 morts, et même 23 selon Amnesty International.

Lorsque le verdict est tombé, des jeunes encagoulés munis de cocktails Molotov ont mis le feu aux archives de la faculté. La thèse de plus de 600 pages de Bakary D., ancien étudiant en sociologie, fruit en 2006 de plusieurs années de travail, est presque totalement consumée. Seule la page de garde et quelques feuilles sont encore lisibles.

L’AFP a préservé l’anonymat des personnes à la demande du chef des archives.

La thèse de Bakary D. se trouvait jeudi, veille de la Journée mondiale des archives, parmi des archives partiellement calcinées qui jonchaient le grand hall et les alentours d’un bâtiment de la faculté, dégageant une odeur de brûlé. Quelques feuilles y voltigeaient encore sous l’effet d’un vent léger. Selon le chef des archives, Lamine Diabaye, près de 200 000 archives courant de 1957 avant l’Indépendance à 2010 ont été touchées par les flammes.

Il a fallu des brouettes, des chariots, et trois jours de travail pour sortir le tout de la vaste salle des archives, complètement noircie, raconte Abdourahmane Kounta, conservateur et archiviste à la faculté.

« Cet acte ignoble et inconscient va impacter toute une génération de parcours académiques. C’est tout un pan de l’histoire de l’université qui a été brûlé », regrette-t-il, entre colère et désolation.

Signal d’alerte

Ces archives sont principalement des dossiers scolaires d’étudiants (fiches d’inscription, photos, extraits de naissance, bulletins de notes etc), des mémoires, des thèses. L’ensemble permet de retracer le passage d’un étudiant, et de lui délivrer son diplôme s’il ne l’a pas encore retiré ou de l’authentifier à la demande d’un employeur par exemple.

Beaucoup d’anciens étudiants seront « lésés », explique M. Kounta, parce qu’il « sera impossible d’authentifier leurs diplômes ».

Des documents du personnel, enseignants, chercheurs, administratifs ont aussi été brûlés.

A côté du parterre de documents, une trentaine d’étudiants de l’École de bibliothécaires, archivistes et documentalistes s’affairent. Ils se sont portés volontaires pour reconstituer ce qui peut l’être.

Un travail de fourmi les attend dans les jours à venir. Il faudra trier, reclasser, conditionner le tout, énumère Souleymane Diallo, un des volontaires. Une besogne « fastidieuse », « complexe » et qui exige beaucoup de « minutie et de précaution pour ne pas abîmer davantage les documents », explique Lamine Diabaye, qui ne sait pas quand cette reconstitution prendra fin.

Ces destructions remettent en lumière la question de la conservation des archives, peu débattue au Sénégal. Des indépendances à aujourd’hui, le pays n’a jamais disposé d’un édifice national pour la conservation de ses archives, décrets, arrêts, lois, journaux, admet la directrice des Archives nationales, Fatoumata Diarra.

La structure conserve dans des « conditions difficiles » près de 20 kilomètres linéaires de documents aux feuilles complètement jaunies et usées par le temps sur de hautes étagères dans une location du centre de Dakar, dit-elle. La plus ancienne pièce date de 1672.

« Le cas de l’université doit être une alerte pour les autorités pour qu’elles s’occupent définitivement de la conservation de ce patrimoine national », avertit-elle.

Le Sénégal accuse un grand retard sur la numérisation de ses archives, malgré le lancement en 2021 d’un grand projet visant à numériser 15 millions d’actes d’état civil pour un coût de 18 milliards de francs CFA (environ 27,5 millions d’euros).

La faute à un manque de volonté politique, estime Issa Sy, expert en numérisation. Pour lui, le Sénégal a les compétences et l’expérience nécessaires, « mais le Sénégalais est généralement négligent sur la conservation de ses papiers ».

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