Depuis, les chouwwafates nous persécutent, nous suivent, nous surveillent, nous épient, nous pistent, nous traquent, nous mettent mal à l’aise ou nous sécurisent!
Le marché de la vidéosurveillance prospère.
Ces engins ont envahi les institutions publiques, les entreprises privées, les cliniques, les hôpitaux, les hôtels, les commerces, les grandes ou petites surfaces, les hammams…
L’espace public se dote de chouwwafates: parcs, carrefours, boulevards, autoroutes…
Ces caméras contribuent à la sécurité des personnes et des biens. Les autorités peuvent intervenir en cas de danger, de pillage, de vol…
Adepte des émissions de télévision sur les crimes, je confirme l’efficacité des caméras pour résoudre les crimes, installées par les autorités et par des particuliers: portes de magasins, d’immeubles, stations d’essence…
Les criminels sont pistés sur plusieurs mètres ou kilomètres en suivant les images des caméras.
Dans les entreprises, les managers contrôlent à distance le personnel, ses déplacements, ses absences…
Dans les lieux de commerce, les patrons surveillent le personnel, le flux des clients, les livraisons, les caisses…
Elles sont surtout utiles contre le vol des marchandises par les employés et par les clients.
Les caméras rassurent les parents: certaines crèches et établissements préscolaires permettent aux parents de suivre à distance, via Internet, leurs enfants.
Elles sécurisent les entrées et les couloirs des immeubles d’habitation. Elles fleurissent dans les foyers: beaucoup de parents ayant des nurses équipent leur maison et la chambre des bébés.
De nombreuses familles plaquent des caméras partout dans la maison pour traquer les malversations éventuelles du personnel domestique.
Les caméras sont placées dans les maisons, orientées vers les portes d’accès, pour détecter les voleurs. Une fois la caméra armée, elle vous envoie une notification sur votre smartphone en cas de présence humaine. Une sirène d’alarme peut être jointe pour effrayer les voleurs.
Mais ces installations à domicile posent un problème: si vous êtes loin de votre domicile et que vous recevez une notification, vous faites quoi? Vous contemplez le voleur virtuellement dans ses déplacements chez vous en hurlant?
A ma connaissance, il n’y a pas d’entreprise de surveillance qui envoie un vigile sur place ou alerte la police pour intercepter le voleur! Des services qui existent dans d’autres pays.
Vous pouvez demander à une personne d’accourir chez vous. Peut-être qu’il serait trop tard, peut-être que vous la mettriez en danger. Malgré tout, cet équipement rassure et décourage les voleurs. Mais souvent, les voleurs détruisent d’abord les caméras et emportent avec eux l’appareil qui enregistre.
L’expansion des caméras crée un malaise. Nous nous sentons constamment épiés. Chez le médecin ou le dentiste, et dans toutes les salles d’attente, vos faits et gestes sont surveillés. Pareil au travail: les employés, et surtout les femmes, se plaignent de ne pouvoir être à l’aise pour s’assoir, bouger…
Quand vous êtes invités dans un foyer et que vous apercevez les chouwwafates, vous ne pouvez être naturel, d’autant que vous être épiés et également enregistrés. Il en est de même dans les cafés, les restaurants, les salons de coiffure et d’esthétique… Notre intimité est violée! Sans oublier qu’il est possible de camoufler les caméras et de vous filmer à votre insu!
Alors que dit la loi?
La loi 09-09 assure la protection des particuliers contre les abus d’utilisation des données pouvant porter atteinte à leur vie privée. En 2009 fut créé la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP).
Avant l’installation des caméras, il faut en faire la déclaration à la CNDP et attester que l’équipement respecte la loi relative à la protection des données personnelles. Sinon, la loi prévoit des pénalités.
Si les images sont utilisées sans le consentement de la personne, le responsable est puni de 3 mois à 2 ans et/ou d’une amende de 20.000 à 300.000 DH.
Des automobilistes installent des caméras à l’avant des voitures et filment tout sur leur passage pour se protéger d’une injustice lors d’un accident. C’est légal, à condition de ne pas utiliser les images de personnes sans leur consentement.
Les particuliers peuvent filmer l’intérieur de leur maison. Mais si la caméra filme les voisins, il faut leur demander l’autorisation. S’ils filment leur voiture stationnée dans la rue et les passants, ils doivent le déclarer à la CNDP.
La loi exige qu’il y ait des écriteaux pour signaler la présence de caméras de surveillance dans tous les lieux publics ou privés, sauf l’intérieur des maisons.
Mais en pratique, l’utilisation de ces équipements est anarchique et peut porter atteinte à la vie privée.
Ce fut le cas de la société TLS Contact, qui collecte les demandes de visas, épinglée par la CNDP: elle transmettait régulièrement les images des usagers à deux institutions gouvernementales étrangères.
La vidéosurveillance nous rassure, mais elle nous donne une affreuse sensation de méfiance. De quoi devenir paranoïaque!
Mais continuez à sourire. Vous serez filmés dès que vous mettrez les pieds hors de chez vous… Vous serez même reconnus avec les caméras à reconnaissance faciale qui identifient une personne à partir des traits de son visage. On peut vous retrouver même au milieu d’une foule dans la rue ou dans un stade de football! La Chine a généralisé cette technique à travers le pays.
Avec l’intelligence artificielle, plus personne n’échappera aux chouwwafates! Une atteinte à la liberté individuelle?
Soumaya Naamane Guessous