Onze siècles les ont séparés. La spiritualité les a rapprochés. L’auteur des «Misérables» éprouvait un grand intérêt pour la spiritualité et le mysticisme. C’est surtout après le décès accidentel de sa fille unique, noyée, qu’il se réfugie dans la spiritualité, dans la seconde partie de sa vie.
En 1858-1859, il compose trois grands poèmes sur l’Islam, dans «La Légende des siècles». Alors que l’islamophobie domine, il donne une image positive de cette religion. Les vingt-cinq mille vers qui constituent ce recueil furent publiés en trois étapes. La première série, «Les petites épopées», comporte trois poèmes sur l’Islam, «L’An neuf de l’Hégire», «Mahomet» et «Le Cèdre».
Dans son ouvrage publié en 2023, «Victor Hugo et l’Islam» (éditions Erick Bonnier, collection Encre d’Orient), Louis Blin révèle un aspect méconnu de l’œuvre de ce géant de la littérature française.
Louis Blin, arabisant, spécialiste du monde arabe, a dirigé diverses missions diplomatiques notamment en Égypte et en Arabie saoudite. Actuellement, il dirige le programme de recherche «Middle East Directions» à l’Institut universitaire européen de Florence.
«Victor Hugo et l’Islam» nous apprend que: «Mahomet et le Coran reviennent à une centaine de reprises dans l’œuvre de Victor Hugo. Ce dernier a cherché dans le Coran une voie de pénétration du divin et a trouvé dans le Prophète un modèle auquel s’identifier. L’Islam a représenté une source pour étancher sa soif eschatologique et un objet d’inspiration et de méditation dans sa quête éperdue de spiritualité. Victor Hugo a surmonté les préjugés islamophobes de sa jeunesse grâce à une maturation et une ouverture œcuménique qui lui ont permis de découvrir la richesse de la foi musulmane. Sa poésie recèle parmi des plus belles pages jamais composées par un non musulman sur l’Islam et son Prophète. La critique n’a pourtant guère relevé leur place dans son œuvre».
«Victor Hugo et l’Islam» explore pour la première fois un volet riche et méconnu. «Il combine l’analyse de la portée du religieux chez Victor Hugo et de la façon dont l’Islam a irrigué sa poésie, pour mettre en évidence le rôle joué par cette religion dans son œuvre et, partant, dans le patrimoine littéraire français».
Dans L’Orient-Le Jour (23/11/23), Louis Blin affirme ainsi que «l’Islam a fourni à Victor Hugo de riches sources d’inspiration. Sa poésie recèle parmi les plus belles pages jamais composées par un non-musulman sur sa spiritualité». Ce qui est étonnant, car la critique n’avait jamais relevé la place d’une poésie islamisante dans l’œuvre de Hugo.
«Victor Hugo et l’Islam» a été refusé par 67 éditeurs, avant d’être publié par les éditions Erick Bonnier. Ce qui fait dire à Louis Blin que «cette mésaventure exprime à sa manière la lame de fond islamophobe qui submerge notre pays» (conférence au Centre arabe de recherches et d’études politiques, Paris, 19/10/23). Selon l’auteur, son livre vise à «replacer l’œuvre de Victor Hugo dans la vision française de la religion musulmane et à souligner le contraste entre sa dévalorisation actuelle et le respect dont l’entourait le grand écrivain».
«Je pense que si on lit aujourd’hui Victor Hugo avec cet œil de tolérance, cela peut servir à une meilleure intégration de l’Islam dans nos sociétés», déclare-t-il. Pour lui, ce serait une fierté pour les musulmans et une manière d’apaiser les craintes des non-musulmans, puisque leurs grands écrivains, tels Alexandre Dumas (1802 -1870), Alphonse de Lamartine (1790 -1869) et Victor Hugo (1802-1885), témoignaient d’un profond respect pour cette religion.
À sa première lecture du Coran (1846), Hugo est impressionné. Il y découvre un nouvel univers proche du sien. Auparavant, il a beaucoup lu les écrits de ses amis Lamartine et Alexandre Dumas, qui, chacun, a publié une biographie élogieuse de Mahomet (1854 et 1856).
Victor Hugo s’est-il converti à l’Islam? Louis Blin répond que si Victor Hugo s’est identifié à Mahomet, cela «ne suffit pas à faire de lui un musulman, mais introduit l’Islam par la grande porte dans le patrimoine littéraire français. On peut respecter l’Islam sans pour autant y adhérer. Nous avons dénombré dans son œuvre sept poèmes consacrés à cette religion et dix autres l’abordant de manière incidente. Hugo y a trouvé une source d’inspiration et des réponses à ses questions existentielles. L’important n’est pas de savoir s’il est devenu musulman lors de ses vieux jours, mais d’apprécier ce qu’il a apporté de son vivant à la fraternité entre l’Orient et l’Occident».
«L’An neuf de l’Hégire», poème funèbre de Victor Hugo dédié au Prophète Mohammed (15 janvier 1858), est le poème le plus long qui ait jamais été écrit sur le Prophète. Je partage avec vous une petite partie qui décrit le dernier souffle du Prophète:
Le lendemain matin, voyant l’aube arriver ;
«Aboubékre, dit-il, je ne puis me lever,
Tu vas prendre le Livre et faire la prière.»
Et sa femme Aïscha se tenait en arrière ;
Il écoutait pendant qu’Aboubékre lisait,
Et souvent à voix basse achevait le verset ;
Et l’on pleurait pendant qu’il priait de la sorte.
Et l’Ange de la mort vers le soir à la porte
Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.
«Qu’il entre.»
On vit alors son regard s’éclairer
De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;
Et l’Ange lui dit : «Dieu désire ta présence.
Bien», dit-il. Un frisson sur les tempes courut,
Un souffle ouvrit sa lèvre, et Mahomet mourut.
Par Soumaya Naamane Guessous