Les implications multiformes de l’appui du Kenya au plan marocain d’autonomie pour le Sahara

Annoncé le 26 mai 2025 à Rabat, le revirement diplomatique du Kenya en faveur du plan d’autonomie dans les provinces du sud du Maroc marque une étape décisive dans la résolution du dossier du Sahara, affirme Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2 et secrétaire général de NejMaroc. Selon lui, cette position constitue une inflexion stratégique dont les répercussions potentielles sont profondes et multiformes.

«L’adhésion du Kenya au plan d’autonomie ne se limite pas à une position diplomatique : elle ouvre la voie à une coopération économique, sécuritaire et géopolitique d’envergure», déclare au «Matin» cet expert en relations internationales. Ce partenariat, poursuit-il, permet au Maroc de renforcer sa présence sur le littoral est-africain, de développer ses ports et ses zones logistiques et de s’affirmer comme un acteur clé dans la région.

Un allié de poids pour le Maroc

De plus, la nouvelle position de Nairobi est de nature à assurer au Royaume un allié de poids pour faire avancer la reconnaissance du Sahara marocain notamment auprès de nombre de pays situés dans sa zone d’influence. Première économie d’Afrique de l’Est avec un PIB estimé à 131,67 milliards de dollars en 2025 et membre clé de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), le Kenya s’impose comme une puissance régionale capable de peser sur les équilibres géopolitiques du continent. En tant que tel, le pays détient, selon notre analyste, «la capacité à faire converger les positions de ses voisins sur des dossiers sensibles», renforçant ainsi la crédibilité de la position marocaine dans les organisations africaines et internationales.

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La dynamique que connaissent les relations entre le Kenya et le Maroc témoigne d’une évolution positive et d’un engagement accru à tous les niveaux, a affirmé, mardi à Rabat, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch. 

«Ce soutien en faveur du plan marocain intervient alors même que le Kenya vient d’obtenir du Congrès américain le statut de principal allié non-membre de l’OTAN, consolidant sa stature stratégique et son réseau d’alliances, ce qui permet à Nairobi de jouer un rôle de catalyseur auprès de ses partenaires pour promouvoir la reconnaissance du Sahara marocain comme partie intégrante du Royaume», relève notre expert.

Une recomposition géopolitique et diplomatique en marche

Allant plus loin, M. El Yattioui soutient que le rapprochement entre le Maroc et le Kenya s’inscrit dans une recomposition des équilibres africains, reliant désormais l’axe Atlantique-Méditerranée à celui de l’océan Indien. «En positionnant Nairobi comme relais diplomatique et économique, le Maroc peut escompter un effet d’entraînement auprès des autres membres de l’EAC (Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, Rwanda et Sud-Soudan) ainsi qu’au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Le Kenya pourrait jouer donc un rôle d’influence pour encourager l’adoption de résolutions favorables à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud lors de futures sessions de l’Union africaine», explique-t-il. De plus, le partenariat stratégique avec le Kenya est susceptible de renforcer également la diplomatie multilatérale du Maroc, qui pourra s’appuyer sur ce soutien pour ses candidatures aux instances internationales (ONU, Banque africaine de développement, Organisation mondiale du commerce…).

Implications économiques et de diversification des flux commerciaux

Sur le plan économique, cette alliance traduit une volonté commune de diversifier et de sécuriser les échanges entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est. M. El Yattioui précise que la coopération maroco-kényane ouvre la voie à une interconnexion plus fluide des marchés, notamment via la forte activité du groupe OCP, leader mondial des phosphates, qui a enregistré en 2024 des revenus proches de 10 milliards de dollars. De l’autre côté, la volonté de Nairobi d’augmenter ses exportations de thé, café et produits frais vers le Maroc, en complément de l’approvisionnement en fertilisants, «favorise l’émergence de filières agro-industrielles régionales intégrées», ajoute-t-il.

Une coopération dans l’énergie, la pêche, le tourisme et la sécurité

Au-delà de l’agriculture, le partenariat s’étend à des secteurs clés tels que les énergies renouvelables – où le Maroc investit massivement dans le solaire et l’éolien, tandis que le Kenya possède un potentiel géothermique important –, la pêche, le tourisme culturel, ainsi que la sécurité et les affaires religieuses. Selon notre expert, «cette complémentarité peut générer des retombées économiques substantielles et renforcer l’attractivité des deux nations». La coopération dans ces secteurs permettrait notamment de diversifier les mix énergétiques et de développer des filières industrielles innovantes.

Une stratégie portuaire et logistique renforcée

L’un des axes majeurs de cette alliance est le renforcement des connexions maritimes à travers les ports, en particulier celui de Dakhla. La récente évolution de la position du Kenya devrait conforter le rôle de la méga-infrastructure en tant que pôle logistique stratégique pour la connectivité régionale et internationale, estime M. El Yattioui. Par ailleurs, le rapprochement entre les deux États pourrait favoriser une présence logistique et industrielles marocaine dans des ports clés d’Afrique de l’Est (Mombasa, Dar es Salaam, Djibouti, Berbera, Lamu) et pourrait ainsi donner naissance à un corridor maritime transcontinental reliant l’Atlantique au golfe d’Aden et à l’océan Indien.

M. El Yattioui souligne que «ce réseau de points de relais maritimes permettrait non seulement de fluidifier les échanges de marchandises, mais aussi de sécuriser les itinéraires maritimes cruciaux, en particulier à l’heure des tensions dans la zone de la mer Rouge». Par ailleurs, le modèle des zones économiques spéciales et de hubs logistiques gérés conjointement, s’inspirant du modèle de Tanger Med Free Zone, pourrait être adapté à d’autres ports africains, attirant les investissements, favorisant le transfert de compétences et créant des synergies industrielles.

Vers un hub sécuritaire régional

La dimension sécuritaire n’est pas en reste. Elle mérite d’être soulignée, «car le corridor maritime projeté inclut la surveillance conjointe des routes maritimes vulnérables aux actes de piraterie au large de la Somalie et des trafics illicites traversant le golfe d’Aden», indique M. El Yattioui. Selon lui, un partenariat militaire et de renseignement pourrait voir le jour entre les forces navales marocaines et kenyanes, appuyé par des exercices conjoints et des échanges de renseignements. Cette dimension sécuritaire, note l’expert, est essentielle à la stabilité régionale et à la protection des infrastructures portuaires et des lignes d’approvisionnement essentielles à l’économie mondiale.

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