Niger : une menace djihadiste difficile à mesurer

Plusieurs attaques meurtrières ont frappé le Niger depuis le coup d’État du 26 juillet qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum, mais des analystes mettent en gardent contre une interprétation hâtive des rares données disponibles.

Dès leur arrivée au pouvoir, les militaires qui ont renversé le président Bazoum ont argué d’une « dégradation de la situation sécuritaire » pour justifier leur coup d’État. Une perception partagée par une partie des Nigériens, mais qui semble contredite par les statistiques.

Sur les six premiers mois de l’année 2023, les attaques sur les civils avaient ainsi baissé de 49% par rapport aux six premiers mois de l’année 2022, et le nombre de morts de 16%, selon l’ONG Acled qui répertorie les victimes des conflits à travers le monde.

Des observateurs et partenaires occidentaux, notamment la France, allié privilégié du régime déchu et qui dispose toujours de 1 500 militaires au Niger, ont mis en avant ces résultats encourageants.

Une amélioration en partie attribuée à la stratégie mise en œuvre pour lutter contre les groupes djihadistes par M. Bazoum, unique au Sahel.

Tandis que les régimes militaires au Mali et au Burkina Faso voisins mènent des opérations « antiterroristes » accusées de faire payer un lourd tribut aux populations civiles, le Niger avait opté pour une politique de la « main tendue ».

Accords de paix entre communautés, projets de développement, négociations avec des chefs de groupes armés… Une stratégie jugée prometteuse et appréciée des partenaires occidentaux, mais critiquée au Niger, particulièrement au sein de l’armée.

La perception de la sécurité diffère selon les contextes. Sept Nigériens sur dix (72%) se disaient ainsi satisfaits de l’évolution de la situation sécuritaire dans leur pays, selon un sondage Afrobarometer réalisé en juin 2022.

Les populations rurales, directement concernées par les violences s’étaient révélées largement plus satisfaites que les citadins (78% contre 47%), selon cette enquête.

« Les urbains sont plus politisés, ils ont un meilleur accès à l’information (…) Et plus le niveau de vie est élevé, plus on accorde d’importance aux questions de sécurité et de santé », estime Mahamane Tahirou Ali Backo, chercheur associé au Laboratoire d’Etudes et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (Lasdel) à Niamey, qui a participé à cette enquête.

Le chercheur précise également que ce sondage n’a pas été réalisé dans les zones dites « rouges » où les populations sont les plus directement touchées, pour garantir la sécurité des enquêteurs.

« Les attaques les plus documentées sont les attaques contre les symboles de l’Etat ou les attaques d’envergure, mais à cause de la circulation des armes et du banditisme, les violences sont quasi quotidiennes », précise ce chercheur, l’un des rares qui a pu accéder récemment à ces zones d’activité des groupes jihadistes, aux marges du Niger, du Mali et du Burkina Faso.

Par ailleurs, le nombre d’attaques et de victimes ne rend pas forcément compte du sentiment d’insécurité entretenu par les groupes djihadistes, qui exercent une forme de contrôle indirect, parfois très éloigné de leurs bases.

« Si la violence visible diminue, cela ne veut pas dire forcément que les gens vivent mieux. Les taxes sont toujours prélevées, et même si le nombre d’attaques baisse, l’influence des groupes armés se propage à l’intérieur du Niger », assure Tatiana Smirnova, chercheuse au Centre Franco Paix en résolution des conflits.

Les djihadistes « ne cherchent pas à prendre le pouvoir officiel, mais exercent une forme de gouvernement indirect et de contrôle social sur de vastes zones », explique Jean Pierre Olivier de Sardan, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur au Lasdel.

Une influence qui se traduit notamment par la fermeture des écoles primaires et secondaires au Sahel. Environ 890 écoles étaient fermées en août 2022 en raison de l’insécurité dans les quatre régions du Niger les plus touchées par les attaques, dont le Tillabéri, selon un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF).

En mai 2023, le ministère de l’Education nigérien avait indiqué que plus de 900 écoles ne fonctionnaient plus dans la seule région du Tillabéri.

Des accords de paix entre communautés ont permis d’enregistrer une baisse conséquente des violences dans certaines localités, selon les analystes et les statistiques disponibles, mais d’autres ont connu un regain d’incidents.

Les djihadistes se greffent à des conflits locaux dont la diversité complique l’établissement d’une tendance globale. D’un département à l’autre, « ce ne sont pas les mêmes dynamiques, pas les mêmes groupes, ni les mêmes conflits », met en garde Tahirou Ali Bako. « Vu de l’extérieur, les gens tendent à uniformiser les situations, mais elles ne sont pas homogènes », ajoute-t-il.

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