Zone de Libre Echange Africaine: le crash avant le décollage (Mohamed Dia)

 

L’entrée en vigueur de la Zlec est supposée être la plus grande réussite de l’Afrique depuis la création de l’Organisation de l’unité africaine en 1963 nous dit-on. Il s’agit d’une zone de libre-échange au sein de laquelle les barrières existantes sont soit abaissées, soit éliminées. Ce nouveau marché sera constitué de 54 des 55 pays africains, exception faite à l’Érythrée qui n’a pas encore signé l’accord, mais a donné son accord verbal. Ce marché est supposé voir le jour le 1 juillet 2020. Cette zone sera la plus grande zone au monde avec près d’1 milliard 200 millions de personnes.

L’objectif est d’augmenter les échanges intra-africains. Il faut noter que le commerce intra-africain est de seulement de près de 15 % contre environ 67 % en Europe, 60 % en Asie et 48 % en Amérique. En principe, la création de cette zone est supposée supprimer les frais de douane pour faire place à un tarif extérieur commun. Les étapes à suivre sont le marché commun, l’union économique et l’union économique et monétaire. L’attente est de voir le commerce intra-africain atteindre 60 % d’ici 2020. N’oublions pas que l’Égypte, le Nigeria et l’Afrique du Sud, représentent, à eux seuls, 50 % du PIB cumulé de l’Afrique. Est-ce la signification que les pays le plus développés vont tirer plus profit de cette zone que les pays les moins développés ? Le déficit en infrastructures routières, maritimes et ferroviaires, sera-t-il un handicap pour ces pays ?

Jusqu’au début du 21e siècle, l’Afrique de l’Ouest pouvait exporter en Europe sans payer des frais de douane, et il n’y avait pas de réciprocité. L’OMC qui disait que ces préférences commerciales étaient à la limite illégale, cela a poussé à la création d’une zone libre-échange où l’Afrique de l’Ouest devait ouvrir son marche à 80 % aux produits européens sur 15 ans contre 100 % des produits ouest-africains dans le cadre de l’accord de partenariat économique régional (APE). L’Union européenne exerçait même des pressions sur les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), les menaçant de diminuer l’aide au développement jusqu’à 47 % en cas de refus de signature des accords. Certains produits agricoles étaient classés dans la catégorie des produits qui pouvaient conserver leurs protections, mais la plupart des matières premières agricoles dont l’Europe a besoin pour faire vivre son secteur secondaire étaient libéralisées. Non seulement l’Afrique de l’Ouest a perdu les droits de douane qui représentent la majorité des recettes des pays africains, mais en plus, la libéralisation a tué les PME spécialisées dans le domaine agricole, sans parler des petits agriculteurs. Pendant que nos agriculteurs sont mal traités par leurs gouvernants, les états européens subventionnent leurs agriculteurs pour revenir nous vendre les produits agricoles à un prix nettement inférieur aux prix des pays africains. Cette concurrence déloyale a tué nos économies, nos agriculteurs, le commerce intra-africain à cause d’une menace de réduire l’aide au développement ? Sérieusement ?

À un moment, il faut que nous fassions face à la réalité et savoir ce qui est faisable et arrêter de faire des choses à titre symbolique. En 2019, l’Afrique avait une part de 1,6 % dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale. L’Afrique subsaharienne est toujours la région qui est la moins industrialisée du monde avec un seul pays considéré comme industrialisé, l’Afrique du Sud. À l’exception de l’Afrique du Sud et des pays d’Afrique du Nord, la VAM mondiale n’est plus que de 1 %. Hormis ces pays, la VAM dans la quasi-totalité des pays africains est de moins de 100 dollars par habitant contre 800 dollars en Chine et 5 000 dollars aux Etats-Unis à titre d’exemple. L’Afrique devrait capitaliser d’abord sur les ressources naturelles pour augmenter la valeur ajoutée. La majeure partie des pays africains exportent leurs matières premières au lieu de créer une filière industrielle à forte valeur ajoutée. À défaut de pouvoir créer des industries faute de moyen, les pays africains auraient pu miser sur des partenariats stratégiques pour au moins partager la valeur ajoutée et surtout miser sur le transfert de technologie. Les dirigeants africains n’ont pas pu créer les conditions pour améliorer le climat des affaires. L’exemple de l’Ethiopie vient à la tête dans ce sens, ce pays a su faciliter le climat des affaires en déroulant une vision très claire et un soutien du privé national. C’est ainsi que la VAM de l’Ethiopie a progressé de presque 15 % entre 2010 et 2019.

Une fois les industries en place, les pays africains devraient plutôt pratiquer le protectionnisme pendant quelques années pour protéger leur espace national respectif. Certains diront qu’il faut être fou en tant que pays sous-développé pour faire du protectionnisme face aux avantages de libre-échange, mais c’est la seule manière qu’une fois industrialisé, qu’on puisse préserver cette croissance. Pour faire face à la concurrence des autres pays, un protectionnisme pour défendre son économie en limitant les exportations de certains produits. Cela permettra de garder les emplois déjà créés. La création de cette zone va mettre à terre les pays africains qui ne sont pas encore industrialisés. La solution aurait été de laisser chaque pays se spécialiser dans la production d’un bien spécifique pour qu’ensemble l’Afrique puisse faire un bloc pour mieux faire face au monde. En ce moment, vu que la majeure partie des pays en Afrique sont spécialisés dans les produits primaires, l’ouverture des frontières sera un frein face au développement des jeunes industries. Cette ouverture des frontières ferait que les pays les plus industrialisés exporteront en masse dans les pays faiblement industrialisés à un prix bas à cause de leurs économies d’échelle. Les pays les plus industrialisés mettront à terre les pays les moins industrialisés et les entreprises étrangères en Afrique viendront mettre à terre tous les pays africains. En plus, on voit que dans l’accord de la création de la ZLEC, sous l’article 17, Subventions 1. Aucune disposition du présent Protocole ne peut être interprétée comme empêchant les États parties d’utiliser des subventions dans le cadre de leurs programmes de développement.

 

Des décennies après l’indépendance des pays africains, on nous dit que nous avons retrouvé le chemin de la croissance et que les principaux indicateurs sont passés au vert, le seul problème est que nous sommes toujours pauvres. Tous ces efforts fournis ne serviront à rien tant que nous ne nous concentrons pas sur une transformation économique et agricole. Une bonne gouvernance et une perception d’une justice équitable sont des conditions sine qua non pour réussir une transformation structurelle durable des économies des pays africains. Les dirigeants africains connaissent les difficultés de l’Afrique, mais ils préfèrent toujours copier des modelés économiques qui ne sont pas adaptables à nos réalités. L’Afrique a besoin de se rattraper de son retard en infrastructures et de s’industrialiser avant de penser à cette zone d’échange. Cette zone d’échange qui profitera aux pays les plus avancés et ralentira la croissance économique des pays le moins avancés. On dit souvent que l’homme pressé refait deux fois la même chose.

 

Mohamed Dia

 

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